Il y a quelques temps, je discutais avec des pharmaciens en officine à propos de noms de médicaments. La réaction ne s’est pas fait attendre, et certains m’ont demandé pourquoi embaucher des spécialistes pour faire des noms aussi moches 😉
Quelle fut ma surprise, en découvrant qu’en réalité, les règles qui régissent le nommage des médicaments sont souvent aussi opaques pour les pharmaciens que pour le consommateur final.
Parfois, pointait même le soupçon que si les noms de médicaments sous prescription sont plus abscons que ceux en libre-service, c’est probablement que les laboratoires prennent plus de « soin » avec les médicaments pour lesquels ils peuvent faire une certaine forme de communication.
Bien évidemment, ce n’est pas le cas.
Les noms de médicaments sont il des noms comme les autres ?
En France on parle volontiers de nom de médicament alors qu’on parlera de marque de yaourt ou de marque de crème hydratante mais le nom d’un médicaments (hors générique) est le plus souvent une marque. C’est un signe linguistique et graphique inventé qui distingue un produit d’un autre ainsi que les différents produits proposés par un même fabricant. Ce signe linguistique est comme pour les autres noms du marché le plus souvent protégé juridiquement pour assurer sa distinctivité et sert de code de reconnaissance pour les prescripteurs et les patients. Même si l’arrivé des génériques sur le marché éclaire un peu la différence entre marque et principe actif, les problèmes par exemple de surdosage de paracétamol attestent que cette différence est encore floue pour une partie des consommateurs et certains ignorent que plusieurs marques de médicaments peuvent contenir les mêmes principes actifs.
Ainsi le nom de médicament est (le plus souvent ) une marque. Mais, est-il une marque comme les autres ?
D’un point de vue marketing tout d’abord, les marques de médicaments comme toutes les marques sont des outils de stratégie globale, structuration des offres, communication et commercialisation. Elles permettent de différencier les produits, d’organiser leur développement, de les distribuer, les « promouvoir » et fidéliser prescripteurs et clients. Comme toutes marques, la marque de médicament imprègne émotionnellement prescripteurs et consommateurs, et cela d’autant plus que le médicament touche à l’intimité de l’individu, à sa santé. Plus une maladie est grave ou chronique plus la confiance du patient en son médicament doit être totale. La marque de médicament a donc un véritable rôle en termes de stratégie marketing, développement et fidélisation.
Mais alors pourquoi des noms aussi abscons ?
Même si la tendance ces dernières années est au traitement de plus en plus soigné et travaillé des marques pharmaceutiques. Les noms de médicaments restent à part.
On peut avancer deux explications :
Le nom doit rassurer le consommateur, même s'il y a d’autres façons de produire des noms rassurants, un nom qui sonne « scientifique » est classiquement rassurant. Le style des noms de médicaments répond à une tendance longtemps observée et qui répond/répondait à une attente du patient (et du médecin)
Cette tendance subit des évolutions et la tendance « médico/scientifique » cède un peu de terrain à une tendance plus « tech » principalement sur les segments les plus proches de l’OTC.
Par ailleurs les médicaments ne sont pas des produits tout à fait comme les autres, les acheteurs ne sont d’ailleurs pas des consommateurs, mais des patients. Ainsi, les marques de médicaments ont des responsabilités vis à vis de ceux qui les consomment. Dans ce contexte, pour des raisons éthiques et des raisons réglementaires, la communication santé ne fonctionne pas comme les autres branches de la communication. La communication sur les marques de médicaments est soumise à certaines restrictions variables selon les pays. (Notamment en France) Les noms de médicaments sont soumis dans chaque pays à l’approbation des instances réglementaires qui estiment leur caractère approprié. Ils ne doivent pas par exemple, être trompeur par rapport au pouvoir curatif du traitement ou comme dans le cadre de la loi Évin pour l’alcool ne pas sous-entendre que le médicament va « doper » le patient.
Donc, Les noms de marques de médicaments répondent à certaines codifications sociales, et obligations éthiques et réglementaires, ce qui modifie à la fois la liberté créative et les enjeux marketing associés à la marque.
D’un point du vue juridique maintenant, les marques de médicaments sont soumises aux mêmes exigences que les autres marques, absence de descriptivité et distinctivité. Néanmoins, en plus des questions purement liées à la propriété intellectuelle, la distinctivité des noms de médicaments pose également des problèmes réglementaires et de droit commercial. D’un point de vue réglementaire, en plus de satisfaire son inscription sur les différents registres de propriété intellectuelle, le nom de médicament (prescription) va devoir être validé par les instances réglementaires des pays visés. Comme nous l’avons vu, ces instances, vont juger les noms sur leur caractère éthique et marketing, mais également leur distinctivité. En effet ; si la propriété intellectuelle à pour objet de protéger les potentiels tiers détenteurs de droits antérieurs, les instances réglementaires ont pour objet de protéger les patients de potentielles erreurs de prescription, de distribution ou de consommation liées à la trop grande proximité entre deux noms de médicaments ou entre deux versions d’un médicament au formulations différentes. Du point de vue de sa distinctivité, la marque de médicament est beaucoup plus contrôlée que les autres marques, elle est surveillée à la fois pour des raisons de concurrence mais aussi pour des raisons de sécurité.
Ainsi, le nom de médicament est une sorte d’ovnis au sein des marques, mêlant lourdes codifications sociologiques, objectifs marketing, ambitions créatives, responsabilités éthiques et sévère cadre réglementaire. Bien que peu représenté sur les podiums des marques les plus spontanément plébiscitées par le consommateur, le nom de médicament est une marque au cœur de la vie des individus, les accompagnant de son langage particulier au quotidien ou dans les moments difficiles.
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